Au congrès du MRJC, l’enjeu du renouvellement des générations

Reportage : Le MRJC, le Mouvement rural de jeunesse chrétienne, a clôturé son congrès annuel en Meurthe-et-Moselle ce dimanche 30 juin. L’événement fut notamment l’occasion de questionner le renouvellement des générations en agriculture.

Alban de Montigny, le 30/06/2024 à 18:34

Le 11 novembre 1924, à Drouville, en Meurthe-et-Moselle, un groupe de jeunes gens « pleins de bonne volonté », se réunit à l’initiative d’un séminariste. Ensemble, ils s’apprêtent à poser la première pierre de ce qui deviendra la Jeunesse agricole catholique. Cent ans plus tard, la JAC, devenue entre-temps le MRJC, Mouvement rural de jeunesse chrétienne, organisait du 27 au 30 juin son congrès annuel à Choloy-Ménillot (Meurthe-et-Moselle). Le mouvement, qui a connu son âge d’or dans les années d’après-guerre, compte aujourd’hui 3 000 membres âgés de 13 à 30 ans, de toutes confessions.

Ce rassemblement a notamment été l’occasion d’organiser une table ronde avec des représentants des syndicats, la Confédération paysanne et les Jeunes Agriculteurs, autour du rôle joué par les jeunes dans « la transformation du rural par l’agriculture ». En toile de fond, notamment, l’enjeu démographique : d’ici à dix ans, un tiers des agriculteurs seront en âge de partir à la retraite. « Nous partageons le même constat : il est aujourd’hui compliqué pour des jeunes de s’installer ou de changer les pratiques quand ils arrivent dans une ferme familiale », soulignent Marie Davy et Emma Beaudoin, secrétaires nationales à l’agriculture au MRJC.

Des jeunes tournés vers l’agriculture biologique

En février dernier, en plein Salon de l’agriculture, l’organisation avait dénoncé dans une tribune un système « à bout de souffle », déplorant au passage le « manque d’accompagnement à la transmission », « la difficulté de l’accès au foncier », « l’endettement quasi inévitable pour se lancer et produire »…

Au sein du mouvement, nombreux sont ceux qui se posent la question de l’installation, qu’ils soient issus du milieu agricole ou non. Lorsqu’ils franchissent le pas, l’immense majorité opte pour l’agriculture biologique. Un choix pas étonnant quand on connaît la réflexion menée par le MRJC autour de l’agroécologie.

D’ailleurs, durant la mobilisation des agriculteurs cet hiver, l’organisation, qui se retrouve sur plusieurs sujets avec la Confédération paysanne, a tenté de faire entendre sa voix face au discours porté notamment par le syndicat majoritaire, la FNSEA. « Il ne faut pas se tromper de responsables : les normes environnementales et les contraintes réglementaires ne peuvent pas être les fusibles qui apaiseraient la crise », écrivait le mouvement dans un communiqué le 25 janvier, tout en ajoutant, « nous avons besoin de normes pensées par et pour les agriculteurs.ices, et les citoyen·nes, qui soient adaptées à la réalité des fermes et appliquées avec humanité ».

Engagé au MRJC depuis ses 14 ans, Joachim, ingénieur agronome de 29 ans, envisage de s’installer dans quelques années en tant que « paysans chercheur », un statut défendu par le Tour de France agricole, un groupe soutenu par le MRJC. À ses yeux, la crise agricole « a été perçue comme uniforme alors qu’elle cache des réalités très diverses. La FNSEA et le gouvernement ont récupéré ce mouvement et ont fait de l’écologie le bouc émissaire alors qu’elle n’est pas la cause des problèmes de revenu des agriculteurs ».

Appel à faire barrage à l’extrême droite

Pour l’organisation de jeunesse, ce congrès annuel a aussi été l’occasion d’échanger sur le contexte politique. Si un débat n’était pas prévu dans l’ordre du jour, un temps d’échange a finalement été proposé à l’initiative de l’une des sections locales. Apolitique, mais idéologiquement marqué à gauche, le MRJC avait appelé durant la campagne des législatives à faire barrage contre l’extrême droite.

Pour la présidente du MRJC, Manon Rousselot-Pailley, le mouvement d’éducation populaire a d’ailleurs plus que jamais un rôle à jouer en milieu rural alors que 93 % des communes françaises ont placé le RN en tête aux européennes, le 9 juin : « je suis convaincue que les idées que nous défendons, mais aussi notre manière de nous organiser, d’expérimenter la démocratie infusent chez des jeunes qui demain seront acteurs de leur territoire. »

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https://www.la-croix.com/economie/l-enjeu-central-du-foncier-dans-le-renouvellement-du-monde-agricole-20240524, Alban de Montigny, le 24/05/2024 à 20:07

Les débats à l’Assemblée nationale autour du projet de loi d’orientation agricole, visant notamment à assurer la relève d’un monde agricole vieillissant, doivent se conclure vendredi 24 mai avant un vote solennel mardi 28 mai. Tout au long des échanges, les députés de l’opposition ont déploré le manque d’ambition du texte en matière de régulation du foncier.

En ce 15 mai, le député socialiste Dominique Potier monte à la tribune de l’Assemblée nationale. Les débats autour du projet de loi d’orientation « pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture », viennent de commencer.

« L’accaparement des terres est un incendie et nous fermons les yeux. Pire, nous inventons avec l’introduction des fonds spéculatifs un lance-flamme face à cet incendie. C’est une folie, c’est une irresponsabilité », déclare-t-il attaquant d’emblée le gouvernement sur l’une des mesures polémiques du texte : la création de groupement foncier agricole d’épargne.

Aux yeux du ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, Marc Fesneau, cet outil permettrait de faciliter l’installation : des acteurs privés ou publics achètent des terres et les louent aux agriculteurs qui ne peuvent en acquérir. Pour les oppositions, qui avaient rejeté auparavant cet article en commission, ce mécanisme renforce la « financiarisation » de l’agriculture avec des investisseurs qui chercheront avant tout à avoir un retour sur investissement et donc choisiront de louer les parcelles aux agriculteurs capables de payer les loyers les plus élevés. Elles soulignent aussi le risque de spéculation conduisant une hausse des prix. Plus globalement, elles dénoncent l’absence de mesures structurantes en matière de foncier dans le projet de loi d’orientation.

Le foncier, première barrière pour les nouveaux installés

Au fond, ce débat met en lumière l’enjeu de l’accès à la terre dans le renouvellement des générations ; c’est le premier frein à l’installation. D’ici à dix ans, un tiers des agriculteurs seront en âge de partir à la retraite. Or, 60 % des personnes qui souhaitent s’installer ne reprennent pas une ferme familiale.

Le morcellement des terres du fait des partages successoraux complique l’installation. En effet, un repreneur qui a été désigné par l’exploitant qui part à la retraite peut se voir refuser la location d’hectares par l’un des propriétaires ; une exploitation est souvent composée de plusieurs parcelles détenues par différents propriétaires. « Un agriculteur louant des terres avait trois ou quatre propriétaires en 1980, il en a 14 aujourd’hui », souligne la Fédération Terre de liens dans sa seconde édition de son rapport sur l’état des terres agricoles en France, paru en 2023. Des blocages surviennent également en cas d’indivision.

Par ailleurs, le montant limité du fermage (en moyenne 150 € par hectare et par an) peut pousser des propriétaires à louer leurs terres à des activités agricoles plus lucratives. Et lorsqu’ils choisissent de vendre, ils peuvent être tentés de se tourner vers des agriculteurs voisins qui veulent s’agrandir et qui, disposant de davantage de capital, proposeront une meilleure offre.

Ce phénomène d’agrandissement s’explique notamment par la volonté des agriculteurs de se constituer un patrimoine en vue de leur retraite. « La terre comme capitale retraite ralentit le renouvellement des générations », observe Terre de liens dans son rapport.

La tentation de contourner des outils de régulation

Le recul de la transmission intrafamiliale, le phénomène de concentration, ou encore le développement d’usages non agricoles sont autant d’évolutions qui viennent bousculer le système de régulation imaginé dans l’après-guerre et qui comprend : le statut du fermage ; le mécanisme des autorisations administratives en cas, par exemple, de projet d’agrandissement ; et les Safer, les Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, qui disposent d’un droit de préemption au motif de l’intérêt général (la terre est revendue en priorité à un jeune).

Aujourd’hui, une part grandissante des terres échappe au mécanisme de régulation des Safer. Dans son rapport, Terres de liens mettait en lumière la montée en puissance des sociétés à capital ouvert. Selon Agreste, service statistique du ministère de l’agriculture, celles-ci représentaient en 2020 une ferme sur dix et contrôlaient 14 % de la surface agricole utilisée en France contre 7 % en 2000.

Un tiers de ces sociétés n’est pas contrôlé par des associés exploitants. « Lorsque les terres sont la propriété de la société, les preneurs de parts dans la société deviennent, de fait, propriétaires de terres, sans les avoir directement achetées. Le marché des parts de société est donc devenu un marché parallèle des terres agricoles », explique Terre de liens.

Les Safer estiment qu’au moins 200 000 hectares transitent ainsi chaque année. Votée en 2021, la loi Sempastous vise à limiter les opérations d’agrandissement via des cessions de part. Mais aux yeux de plusieurs parlementaires et acteurs du secteur, elle n’est pas assez ambitieuse